Les Isopodes terrestres, ou Oniscidea, constituent le seul sous-ordre de l’immense classe des Crustacés qui ait réellement réussi une adaptation à la vie terrestre. Il peuple aujourd’hui tous les milieux continentaux, de l'aquatique au xérique en passant par les habitats endogé et souterrain où ils représentent une des composantes majeures de la mésofaune. Leur adaptation à la vie terrestre se traduit par des modifications tant morphologiques et écologiques qu’éthologiques et physiologiques. Ils ont besoin d’une humidité atmosphérique élevée; de ce fait leur répartition s'est, au cours de leur longue histoire, trouvée largement influencée par les évènements paléogéographiques et paléoclimatiques. Ces derniers ont contribué à fragmenter les aires de répartition en dressant des barrières géographiques ou écologiques entre les populations, qui se sont souvent trouvées confinées dans des aires relictuelles très réduites où subsistaient les conditions écologiques nécessaires à leur survie. Ces populations se sont diversifiées en un grand nombre de genres et d’espèces à distribution restreinte, pour l’immense majorité limitées à la région méditerranéenne où les glaciations ont eu un impact modéré. Il est à cet égard frappant de constater que, dans ces régions, ce sont les Trichoniscidae, c’est à dire les espèces d'isopodes terrestres les plus sensibles aux variations climatiques de température et d'hygrométrie, qui fournissent le plus grand nombre d'endémiques.
Un second constat justifie le choix des isopodes terrestres comme modèle privilégié pour l’étude de l’endémisme: nos connaissances sur ce groupe sont bonnes pour la région étudiée. S'il est certain que de nouvelles espèces restent encore à découvrir en Europe, notamment dans les milieux souterrain et endogé, on peut toutefois considérer, sur la base des nombreux travaux très fiables consacrés aux Isopodes terrestres de France, d'Espagne et du Portugal, que la grande majorité des espèces actuelles de ces régions nous sont connues.
Deux révisions taxinomiques et faunistiques relativement récentes constituent des synthèses précieuses de ce qui a été antérieurement publié pour la France et pour la Péninsule Ibérique. Elles sont la source de la majorité des informations relatives aux stations d’isopodes terrestres endémiques. Il s'agit, pour la France, de la Faune de France des Isopodes terrestres publiée en deux volumes par VANDEL (1960 et 1962). Les travaux publiés par la suite sur le sujet sont peu nombreux: DALENS 1964, 1965, 1966a, 1966b, 1973, 1998; DALENS et al 1996, 1997; TAITI et FERRARA 1996). La thèse de CRUZ (1990a) est une synthèse complète de nos connaissances sur les Isopodes terrestres de la Pénisule ibérique à la date de sa publication. Elle inclut également quelques espèces nouvelles dont la description (CRUZ 1990b; CRUZ et DALENS 1989, 1990; CRUZ et GARCIA1992) constitue, avec les travaux de BILTON (1992, 1994, 1997) les seules publications postérieures concernant cette région.
Il ne saurait être question, dans le cadre de ce travail, de présenter une étude détaillée de la morphologie et de la taxonomie des Oniscidea. Nous nous contenterons d’illustrer succintement la morphologie classique d'un isopode terrestre (figs 1 et 2), d’indiquer les principaux caractères utilisés en systématique pour la détermination des familles, des genres et des espèces et enfin de donner une clé sommaire des familles et des genres qui présentent des endémiques dans la région considérée. Pour des études plus précises et plus complètes sur ces questions, le lecteur consultera avec profit HOPKIN 1991, ROMAN et DALENS 1998, SUTTON 1980, VANDEL 1943, 1960, WARBURG 1993.
Le corps des Isopodes est sous sa forme typique aplati dorso-ventralement et segmenté. Il comprend trois grandes parties:
- la tête ou céphalon qui porte les yeux et un certain nombre d'appendices, à savoir antennules, antennes et pièces buccales.
- le péréion formé de 7 segments libres ou péréionites qui portent les pattes ambulatoires ou péréiopodes au nombre de 7 paires plus ou moins semblables d'où le terme d'”isopode”.
- le pléon qui typiquement compte 6 segments, le dernier étant soudé au telson pour former une pièce unique, le pléotelson. Sur sa face ventrale, le pléon porte des appendices bifurqués et lamellaires: les pléopodes au nombre de cinq paires, lesquels concourent à la fonction respiratoire qui est soit de type branchial chez les formes inférieures, soit de type aérien. Elle s'excerce alors par l'intermédiaire de «pseudo-trachées» ou «corps blancs» (=«lungs» des auteurs anglo-saxons) qui sont présents, suivant les familles et les genres, sur les exopodites des deux premieres, des trois premieres ou même des cinq paires de pléopodes. Le pléotelson porte également les uropodes qui sont typiquement styliformes, mais subissent des modifications chez les formes volvationnelles.
Il existe un dimorphisme sexuel qui peut être plus ou moins accusé. Les caractères sexuels mâles affectent tout d'abord de façon assez générale la première paire, et de façon constante la seconde paire de pléopodes dont les endopodites acquièrent un rôle copulateur. Ces caractères sexuels mâles ne se limitent cependant pas aux pléopodes; ils peuvent être fort variés et prendre la forme d'organes glandulo-pilifères situés soit sur les antennes, soit sur le céphalon, soit encore et de façon beaucoup plus fréquente sur le péréion ou le pléon. Ils peuvent aussi affecter les péréiopodes dont certains présentent alors des formations extrêmement variées: brosses, écailles, crochets, élargissement de certains articles en palette ...
La systématique des Isopodes terrestres utilise très largement les caractères sexuels mâles et fait constamment appel aux caractères tirés de la structure du premier pléopode mâle. Dans certaines familles, telle celle des Trichoniscidae, en l'absence de mâle, la détermination des espèces est souvent impossible et ne peut en tout cas que très rarement être conduite au delà du genre.
Quinze 17 familles sur les 19 20 connues dans l'espace géographique étudié présentent 1 ou plusieurs genres qui comportent des espèces endémiques, ce qui donne un total de 53 56 genres ou sous-genres. La seule famille des Trichoniscidae en compte à elle seule 21 soit 39,6%, les familles des Porcellionidae et des Armadillidiidae qui sont ensuite les mieux représentées venant loin derrière avec 6 genres chacunes soit 11,3% des endémiques. Si l'on passe au niveau des espèces, cette nette prédominance des Trichoniscidae se trouve encore plus accusée avec 109 espèces soit 53,17% des endémiques alors que les Porcellionidae et les Armadillidiidae qui occupent toujours les deuxième et troisième places avec respectivement 42 et 25 espèces ne représentent que 20,48% et 11,22% de ces mêmes endémiques.
Cette prédominance des Trichoniscidés parmi les Oniscidea à distribution géographique restreinte s'explique largement par le fait que ce sont des atmophiles très exigeants quant au degré hygrométrique de leur environnement et à respiration de type encore branchial, et donc excessivement sensibles aux perturbations de leur environnement. Ces perturbations ont ainsi pu fragmenter et isoler beaucoup plus facilement des noyaux de populations qui ont par la suite évolué chacun pour leur propre compte.